Dieux du Chaos : théorie des Origines

Ne vous êtes-vous jamais épris d’un univers si fort que vous rêviez d’en faire partie ? Que chaque heure passée à le lire, le jouer ou le regarder sur un écran était comme retrouver une sorte de chez soi ? Un cocon douillet. Un univers qui nous est famillier, que l’on maitrise.

Beaucoup de fans d’Harry Potter se reconnaitront. Pour certains ce sera Assassin Royal, Star Wars ou que sais-je encore.

Pour moi, c’est Warhammer 40k. J’aime l’ambiance d’apocalypse constant qui se dégage de l’univers, j’aime sentir la crasse et la misère qui suinte de chaque illustration crayonnée à la serpe. J’aime la démesure presque grotesque qui caractérise l’Imperium et par dessus tout, j’aime les thèmes qu’il nous propose : l’ironie d’une humanité dépassée par ses propres inventions, déifiant celui qui l’a faite évoluer justement en luttant contre la croyance et en prise perpétuelle contre son pire ennemi : sa propre faiblesse.

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Rassurez-vous, aucun garde impérial n’a été blessé durant la rédaction de cet article.

Je vous propose donc dans cet article d’explorer les origines et inspirations potentielles de ce qui a fait le succès de Warhammer, j’ai nommé les dieux du Chaos Themselves.

L’origine et la classification des jeux de Robert Caillois

Robert Callois, philosophe et anthropologue du milieu du 20e siècle, a proposé dans son ouvrage Les jeux et les Hommes de catégorifier l’ensemble des jeux auquel l’Homme s’adonne. Ces catégories sont au nombre de quatre : agôn, alea, mymicry et ilinx.

Il est à noter que ces catégories ont une portée anthropologique, c’est à dire que les types de jeux décrits en dessous se retrouvent naturellement dans les sociétés humaines, indépendamment de leur culture, de leur localisation ou même de l’époque.

L’agôn regroupe l’ensemble des jeux basés sur l’affrontement et la compétition. La plupart des sports rentrent dans cette catégorie, comme la boxe, le foot, l’athlétisme, etc. Mais aussi les échecs ou les dames.
Le plaisir provient du fait de battre son adversaire à armes égales, « de telle façon que le gagnant apparaisse comme le meilleur[…]. »

L’alea, à l’inverse, va constituer la catégorie contenant tous les jeux de hasard. Ici le joueur n’en affronte pas un autre, mais le destin lui-même. C’est à celui qui sera le plus favorisé par la chance. C’est l’arbitraire du hasard qui fait le sel des jeux d’alea.

On retrouve bien entendu dans cette catégorie les jeux de casinos, de loterie, de dés…

« L’alea est une démission de la volonté, un abandon du destin. » (p.36)

Mimicry est la catégorie qui regroupe tous les jeux consistant à faire semblant. Cela peut être imaginer ce qui nous entoure (floor is lava !) mais aussi prétendre être quelqu’un d’autre.
On joue à croire ou à faire croire aux autres que l’on est quelqu’un d’autre (coucou les rôllistes !).

La poupée, les panoplies de gendarmes ou de super-héros, les jeux d’imitations, de déguisement et le théâtre en général peuvent être catégorifiés dans le mimicry.

Ilinx, enfin, regroupe tous les jeux où le but est d’obtenir des sensations fortes. La recherche du frisson, voilà comment l’on pourrait résumer les jeux de l’ilinx.
L’auteur prend l’exemple des enfants tournants sur-eux mêmes jusqu’à en perdre l’équilibre. Nul doute que si nous nous sommes un jour infligés cela, c’était par jeu.

Jouer à se faire peur, les montagnes russes, la balançoire ou le tourniquet ou à une autre échelle le principe des drogues servent le même but : s’octroyer un shot de sensations.

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En revanche, beaucoup d’enfants ont été blessés durant la rédaction de cet article.

La corruption des jeux

Voilà pour ce qu’il en est des quatres catégories. Mais Caillois ne s’arrête pas là et il va pousser sa définition du jeu un peu plus loin en y cherchant ses limites.

Ainsi donc, il va se demander à partir de quel moment un jeu cesse de l’être.
Selon lui, un jeu ne l’est plus lorsqu’il y a conséquence sur le réel. Cela, Callois l’appelle la corruption des jeux.

« Dans l’agôn, le joueur ne compte que sur lui, il s’efforce et s’acharne; dans l’alea, il compte sur tout, exepté sur lui, et il s’abandonne aux puissances qui lui échappent; dans la mimicry, il imagine qu’il est un autre que lui, et il invente un univers fictif; dans l’ilinx, il contente l’envie de voir passagèrement ruinés la stabilité et l’équilibre de son corps, d’échapper à la tyrannie de sa perception, de provoquer la déroute de sa conscience. »(p.75)

« Ce qui était plaisir devient idée fixe ; ce qui était évasion devient obligation ; ce qui était divertissement devient passion, obsession et source d’angoisse. » (p.76)

Et même avant cela, l’auteur nous explique que le jeu se situe entre le besoin de détente et l’essence même de ce qui fait société. Car en effet : sans règles, point de jeu
Deux personnes jouant ensemble sont deux individus statisfaisant un plaisir, mais encadré et rendu possible par le respect un certain nombre de conventions.

Lorsque celles-ci ne sont pas respectées, c’est le chahut. Ce que Caillois identifie comme une sorte de jeu primal, exempt de toute convention, de toute règle :

« Ce besoin élémentaire d’agitation et de vacarme apparaît d’abord comme impulsion de toucher à tout, de saisir, de goûter, de flairer, puis de laisser tomber tout objet accessible. Il devient volontier goût de détruire ou de briser. Il explique le plaisir de couper sans fin du papier avec des ciseaux, de mettre de l’étoffe en charpie, de faire s’écrouler un assemblage, de traverser une file, d’apporter du désordre dans le jeu ou l’occupation des autres… » (p.54)

Si certains d’entre vous ont entamé le signe de l’Aquila, c’est normal. Les lecteurs et joueurs de Warhammer auront perçu les échos malsains de la définition de ce que leur univers rappelle : le Chaos. Force infatiguable qui attire et pousse les Hommes de l’Imperium vers la destruction de toute stabilité, de toute sanité.

 

Les dieux du Chaos

Bon, j’arrête de vous torturer avec ce suspens insoutenable, vous savez où je veux en venir : 

Robert Caillois, par son analyse du jeu primal et sa description des catégories de jeux corrompues rappelle carrément les dieux du Chaos de Warhammer.

Vous ne me croyez toujours pas ? Faisons le tour ensemble, dans ce cas !

Khorne, l’agônKhorne_banner
Prenez la divinité de la guerre où la hiérarchie n’existe que dans la mesure d’une compétition extrême entre ses adorateurs et où l’on est l’inférieur de tout ce qu’on ne parvient pas à tuer.
Eliminer les faibles, telle est la philosophie des adeptes du Dieu du sang, qui se battent avec acharnement jusqu’à leur dernier souffle.

Khorne a aussi un autre visage, celui du sens de la fierté martial et de l’accomplissement par l’exploit. Ca nous ferait bien penser à une citation de Robert, tout ça :
« C’est pourquoi la pratique de l’agôn suppose une attention soutenue, un entrainement approprié; des efforts assidus et la volonté de vaincre. »

Nurgle, ou Grand-Père alea500px-Nurgle
Ou Nurgle, divinité de la maladie et de la putrescence. On distingue ses fidèles par leur flegme, leur fatalisme et leur résignation. Pour Nurgle, aussi appelé Père ou Grand-Père Nurgle, il n’y a rien dans l’univers qui ne saurait échapper à l’implaccable entropie.
« Tout bolt est voué à la rouille, tout comme les doigts qui pressent la détente sont condamnés à tomber et pourrir. Et tout cela pourquoi ? » Peut-on lire sur la très complète page décrivant le Dieu de la maladie.

Résister c’est entreprendre sa propre défaite, il faut accepter le cadeau que nous offre Grand-Père et embrasser son inéluctable destin. Il est aussi appelé le Maître des certitudes. S’en remettre à lui, c’est s’en remettre au berger de l’univers, c’est se laisser guider.

« L’alea marque et révèle la faveur du destin. Le joueur y est entièrement passif, il n’y déploie pas ses qualités ou ses dispositions, les ressources de son adresse, de ses muscles, de son intelligence. Il ne fait qu’attendre, dans l’espoir et le tremblement, l’arrêt du sort. » (p.35)

Tzeensch. Mimicry-cry, le changement, il aime ça.Tzeentch
Pendant que les plus jeunes d’entre vous essaye de capter la référence de ce titre lamentable, enchainons avec l’ami Tzeensch, le Grand Architecte du changement.
Tous les mensonges, les complots, les intentions voilées et les fomentations constituent l’incompréhensible toile de ce dieu sombre. Seul lui peut voir à travers la toile inextricable des infinies possibilités et accorde quelques fois une infime fraction de sa connaissance aux âmes assez folles pour le servir.

Les contradictions, les illusions et les envies des Hommes consituent les leviers que Tzeensch utilisent pour tromper l’humanité et servir ses plans inintelligibles et perpétuels.

On retrouve évidemment, une fois encore, cette philosophie dans les écrits de Caillois :
« La mimicry est invention incessante. La règle du jeu est unique : elle consiste pour l’acteur à fasciner le spectateur, en évitant qu’une faute conduise celui-ci à refuser l’illusion (…). »

Et, plus troublant encore, on retrouve dans les écrits de l’anthropologue ET dans ceux de Game Workshop l’opposition entre ce concept et celui du Nurgle-alea. Là où Warhammer oppose l’atrophie au changement perpétuel, Caillois conclut que « (…)la mimicry ne saurait guère avoir de rapport avec l’alea, qui impose au joueur l’immobilité et le frisson de l’attente(…). »

Slaanesh, l’amour du risque500px-Slaanesh
Enfin, terminons notre tour des dieux chaotiques avec Slaanesh, le Seigneur des Excès, le Prince des Plaisirs. J’vous vois venir bande de dégueulasses mais laissez-moi vous dire que… vous avez raison.

Slaanesh est le dieu de l’hédonisme poussé à son paroxisme : le plaisir doit être immédiat, quel qu’il soit. Ses adorateurs rejettent le principe de décence et de retenue. Aucun met n’est trop bon, aucun corps n’est sacré. Toute sensation est bonne à ressentir.

« [Des jeux] qui reposent sur la poursuite du vertige et (…) en une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d’infliger à la conscience lucide une sorte de panique voluptueuse. » (p.43)

Outre le sous-texte un peu masochiste de Caillois, qui ne serait pas pour déplaire au Seigneur des Excès, l’univers de Warhammer nous gratifie de l’explication de l’apparition du dieu sombre. Ce dernier est en effet le fruit du « besoin de nouvelles sensations excessif qui en vint occuper chaque moment de chaque jour » d’une race extraterrestre décadente.

 

Conclusion

Coïncidence ou pas, force est de constater que les similitudes sont nombreuses. Et si les plus pointilleux d’entre vous peuvent y voir des rapprochements douteux, la philosophie derrière les quatres divinités chaotiques et la théorie des jeux se rejoignent au moins sur le fond.

Dans tous les cas, que leurs concepts soient aussi proches d’une théorie anthropologique, qui rappelons-le, est l’étude de l’Homme dans ce qu’il a de plus fondamental, est sans doute ce qui fait la réussite des Dieux Sombres.
Ainsi, ils parlent à tout le monde, dépassant au moins un peu les barrières des cultures, du genre ou de l’origine sociale.

Là où on peut contredire la vision manichéenne des dieux « bons » et des dieux « mauvais » d’univers comme DnD, héritée de notre culture occidentale très biblique, Warhammer part d’un autre postulat, plus fin à mon sens.


Classification des jeux de Caillois : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/lisit491/docannexe.php?id=1373

Roger Caillois, Les jeux et les Hommes, 1958

https://wjrf.bimondiens.com/content/contrib/religion/index.php?idAlignement=5#card

http://warhammer40k.wikia.com

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